La disparition du lin textile
Qui tissera les "couvartes" et les jupes, les tabliers et les draps...

Je plante d'un coup sec ma pelle dans le sol meuble du printemps. Les moustiques ne sont pas encore sortis, il souffle un petit noroît, mais on sent les rayons du soleil plus fort et plus sûr d'eux à chaque jours qui passe. Véronique s'approche et me tend un sachet, de sa main pleine de terre: 

Tiens, ce sont le semences dont je te parlais, on essaie? Allez, je pourrais le transformer à la fin de l'été

-Puis quoi, nous faire une belle couvarte?

Véronique est une férue de teinture, de matériel de tissage, de brut, elle tond des moutons et nous baratine les oreilles avec ses teintures de pelures d'oignons sur la laine récoltée sur ses dulcinées. Cette fois-ci, je jette un oeil sur sa nouvelle lubie. Du lin, Je n'ai jamais fait pousser de lin, je n'ai même aucune idée de ça ressemble à quoi. Mais en regardant Véronique, je sens que je n'ai pas trop le choix de sauter avec elle dans l'expérience.

Au temps de nos ancêtres, le lin est un des matériel le plus utilisé pour la confection des vêtements. Alors que la garde-robe d’hiver est de laine (chaussons, chemises, jupes, culottes, tuques et mitaines) celle des autres saisons plus clémentes est de lin.  

On en fait aussi des draps, des taies, des linges à vaisselle, des linges de table, des nappes, etc. Même les poches de céréales ou de farine sont en lin. On tire aussi de la plante des brins qui servent en cordonnerie, et avec l’étoupe du lin, on calfeutre les fenêtres et même les navires!

Au fil de mes lectures, j'ai compris que le lin que nous apportait Véronique était uniquement destiné à la production de tissus, bien qu'on aurait pu manger ses graines, comme les oiseaux nous l'ont si bien démontrés.

Le lin cultivé (Linium usitatissimum) se sépare en deux catégories: le lin oléagineux, dont nous consommons les graines, et le lin textile, qui servait comme son nom l’évoque à faire du tissus. C’est la fibre de la tige qui est alors utilisée. 

Les habitants, en particulier ceux de la région de Québec, se livrent à la culture du lin. En 1749, Pehr Kalm constate qu’on en sème partout! Au 19ème siècle, quand tout coute cher, qu’on n’a pas l’argent pour acheter des tissus manufacturés en Angleterre, on produit encore plus de lin.

PROVENCHER J. (1996). Les Quatre Saisons dans la vallée du St-Laurent. Éditions Boréal, Montréal, P.339

 

Le lin au fil des saisons du Québec…

C'est Geneviève, qui nous écoute parler, qui y met son grain de sel en ne cessant jamais de manier la pelle. Ben oui, au Québec, le lin ça poussait partout! Y'a un genre de musée du lin... y'a aussi une exposition à Port-Neuf. On y racontait l'histoire du lin et je me souviens d'une expression qu'ils m'ont rapporté: Paraît que quand un homme voulait se marier, il demandant à sa douce:

Tu veux-tu user un drap de lin avec moi! 

Véronique: Je ne suis pas certaine de comprendre..

Geneviève: Eh bien, les draps de lin étant très résistant, cela signifiait vouloir passer toute sa vie ensemble... 

Véronique: Mais c'est ben cuuuuute!

Moi: Ah, avoir sû, j'aurais pas utilisé des draps de coton, ça m'aurait évité un divorce. Allez, au travail!

Effectivement, selon certaines sources, il semblerait que le lin Québécois était plus grossier que le lin d’Europe. Par contre, sa solidité n’en était que plus impressionnante. Mais on a jamais gagné de concours face à l'ancien continent pour la finesse de notre lin....  Il faut dire que les femmes de l'époque ne passaient pas l'année entière dans des usines à filer du lin et à perfectionner leur technique. Non, elle devaient le faire uniquement l'hiver, car le reste du temps, les 14 enfants, les 13 chèvres, les 12 vaches lui demandaient tout sont temps. Et sûrement les souris vertes. Elles tissaient donc du lin plus rugueux, comme en témoigne ce texte:


Il faut noter que les draps d'été neufs étaient raides et piquants. La coutume voulait que ce soit les garçons qui couchent
dans les draps neufs car leurs longs caleçons les protégeaient des égratignures possibles. Quant aux taies d'oreiller, elles étaient faites dans de vieux draps : une toile neuve aurait irrité le visage.

Les vêtements de bébé, surtout les couches, étaient confectionnés avec les bonnes parties de serviettes ou de draps usés. Les tissus neufs étaient trop rugueux et trop raides ; ils auraient blessé la peau fragile du bébé."

Micheline Champoux, Université du Québec à Trois-Rivières

Rien de bien alléchant pour les citadins du 21ème siècle qui commandent sur Amazon.

Une autre petite anecdote que j'ai découvert au fil de mes lectures, :

Beaucoup plus tard, à l'époque des Patriotes, les habitants troquaient leur tuque rouge de laine pour une tuque en lin durant l'été. Plus légère, elle protégeait la tête des rayons du soleil et les cheveux des saletés. 

Encore là, le lin n'a pas marqué l'imaginaire de nos symbole, la laine rouge, oui. 


La culture du lin

Pour connaître les conditions de culture du lin, se référer ici à la page de la culture du lin. Avançons un peu plus dans le temps, puisque notre propos est sur la plante déjà tendue vers le soleil...

À la mi-juillet, nous voila tous attroupés autour de la parcelle qui a vu grandir nos petites gaines de lins. Habituellement, cinq ou six semaines après sa sortie de terre, le lin fait ses fleurs. 

Quand celle-ci sont bleues, c’est que la variétés ensemencées provient de Riga, sur la mer Baltique; si les fleurs sont blanches, il s’agit d’une variété originaire de Belgique. L’ancien lin canadien à longues tiges, probablement apporté de France, produisait également des fleurs blanches, mais on le dit devenu très rare en 1865.


Visiblement, notre lin était très européen, avec de belles fleurs bleues. Mais pas du tout québécois. Où étaient donc passées les semences de nos grands-mères?

L'été s'est étiré, le lin s'est transformé en grande gerbes hautes de plus d'un mètre. Puis un jour d'automne, Véronique s'est amenée, et nous a arraché tout ce beau lin. Puis l'a étendu sur le sol, en tas, pour le laisser rouir.

Comment récoltait-on le lin?

Pour la récolte, le lin est arraché à la main pour que la fibre conserve sa pleine longueur, gage de résistance. Par la suite, on procède au rouissage. Il s’agit d’une fermentation essentielle au traitement de la fibre. On étend le lin en une fine couche sur l'herbe pour environ un mois. L'action du soleil et de la pluie fait le reste. Quand le lin est prêt, on l'entrepose.

 

Quand vient l'heure de la récolte, tous les membres de la famille prêtent main-f0rte, car il faut 90 heures à une personne seule pour arracher et étendre à la main un arpens de lin¨

PROVENCHER J. (1996). Les Quatre Saisons dans la vallée du St-Laurent. Éditions Boréal, Montréal, P.340.

Les longs hivers québécois.

Après cette étape, on commence par sécher les gerbes au-dessus d'un feu. Ensuite, on les broie pour casser le bois de la tige et dégager la fibre. Cette étape est fatigante et exige de nombreuses manipulations. 

On poursuit avec le teillage qui se réalise à l'aide d'une planche et d’un couteau de bois. On peigne ensuite la filasse pour rendre les filaments réguliers et parallèles. Les fileuses prennent le relais en étirant et en tordant les fibres de lin pour en faire un fil continu, prêt à être utilisé. (Annie Labrecque, Bibliothèque et Archives Nationales du Québec)

Et la finalité, l'abandon du lin.

Autrefois, il fallait compter deux ans entre la plantation des graines et la confection d'un vêtement. En effet, le tissage ne se faisait que l'hiver, après plusieurs étapes. Aujourd'hui, la culture et la récolte du lin se fait mécaniquement. Le blanchissage
se fait très rapidement, avec des produits chimiques à l'usine. Le tissage et la confection des vêtements sont aussi beaucoup plus rapides, et fait à l'extéreur du pays. 

Puis dans les années 1950, des siècles de culture de lin ont brusquement pris fin, balayés par une fibre bon marché originaire de l'Inde : le coton. 

Après cette expérience, moi et Véronique sommes parties à la recherche du lin textile québécois. Il a été très surprenant de ne plus en trouver. Lorsqu'on a appris que la graine avait une durée de vie très courte, à peine deux ans, nous avons compris pourquoi l'abandon du lin avait provoqué rapidement sa disparition. 

Au cours des deux années suivantes, nous avons tissés des liens et trouvé en Europe, aux États-Unis et chez des particuliers au Québec quelques variétés bien vivantes et pouvant être reproduites. N'étant pas capable seul d'assurer la survie de ces variétés, nous avons décidé de créer le Programme citoyen de sauvegarde du lin textile. 

Vous pouvez donc, en cliquant ici, participer à la sauvegarde du lin textile avec nous!

N'hésitez-pas si vous avez d'autres informations au sujet du lin textile à communiquer avec nous.

Pour en connaître d'avantage.

PROVENCHER J. (1996). Les Quatre Saisons dans la vallée du St-Laurent. Éditions Boréal, Montréal.

Biennale du lin de Portneuf : https://biennaledulin.com/

La semaine verte https://ici.radio-canada.ca/actualite/semaineverte/020707/culturelin.html

CARUFEL, Hélène de, Le lin, Montréal, Léméac, 1980

Photo E.L. Desilet Séchage du lin chez la famille Babin en Gaspésie, bibliothèque et Archives du Québec 1948

Linerie de louiseville 1948

Charge de lin à ste anne de La pocatière august Scott 1942  Fond ministère de la culture et des communications

https://leplacoteux.com/lin-culture-dominante-kamouraska-300-ans/

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