(Article paru originellement dans la revue Semences du Patrimoine, 2016)
C’est lors d’une Fête des semences à Québec que j’ai rencontré Kevin Bouchard pour la première fois. Parmi la foule qui visitait les kiosques cette journée-là, il est arrivé et m’a tendu une petite enveloppe de papier où il était écrit à la main « ail du jardin des Jésuites». Il s’est rapidement présenté et m’a expliqué qu’il prenait soins d’un jardin qui avait appartenu à des Anglais, puis plus anciennement à des Jésuites, où poussait cet ail un peu bizarre. Il avait fait des recherches pour l’identifier, mais les gens qu’il contactait étaient incapables de mettre un nom sur la variété. Malheureusement, il allait déménager et devait abandonner le lieu en ignorant qui en aurait la charge après lui. Et selon ses dires, les propriétaires avaient dans l'idée de détruire une partie du terrain pour construire un chapiteau. Il a donc eu le réflexe de grappiller quelques bulbilles dans la talle qui existait depuis des années avant de partir.
J’ai pris le petit paquet, j’ai remercié l’homme et j’ai ramené à la maison le précieux paquet. Je les ai planté, puis je n'y ai plus trop pensé.
Un bulbe d'un blanc pur
Jusqu’à ce que j’aperçoive, au courant de l’été, cette touffe chevelue perchée sur une hampe florale d’ail qui poussait dans mon jardin. J’avais planté au printemps les précieuses bulbilles de l’enveloppe de papier, en pot, puis les avait transplantés au jardin sans m’en préoccuper d’avantage, puisque les bulbilles prennent habituellement 2 ans pour donner une gousse d’ail récoltable. Parfois, cette période peut s’étirer jusqu’à 5 ans! Quelle ne fut pas ma surprise de voir une hampe florale sortir de la plante dès la première année, et encore plus de voir à quoi elle ressemblait! Au lieu boule habituelle de bulbilles venant à maturité au début du mois de juillet, il est sorti de cet ail de petits bulbilles… mais chevelus! Chaque bulbille s’était allongée en une feuille cylindrique vert tendre, le tout formant une boule ébouriffée que l’on voit parfois sur certaines variétés. À la récolte cet automne-là, j'ai eu la surprise de sortir de terre des bulbes complètements formés et très beaux, d'un blanc pur et d'une bonne taille.
Lors de sa visite au kiosque, l’homme nous avait mentionné que d’après ses recherches, l’ail serait possiblement allium vineale, c’est à dire de l’ail des vignes, mais qu’il ne pouvait le confirmer. Mais après mes propres recherches, il s'agit bien de l'ail cultivé.
La maison des Jésuites de Sillery
Le jardin où elle poussait se trouve dans l’enceinte de la maison des Jésuites de Sillery. Le jardin ayant disparu au fil des ans, il n’en restait de trace que cet ail vivace et une variété de menthe oubliée. Mais d’où vient l’ail? L’occupation du site de la Maison des Jésuites de Sillery commence bien avant l’arrivée des missionnaires, alors que des tribus nomades séjournaient de façon saisonnière sur les rives du Saint-Laurent pour y pêcher et faire du troc.
Puis au cours des années 1720, les Jésuites construisent une maison à Sillery (aujourd'hui monument historique) et où y faisait tout aussi bien de l'agriculture que de l'évangélisation. Il est connu que les communautés religieuses pratiquaient une agriculture de subsistance afin de nourrir la communauté (voir autre texte « Le dernier des arbres fruitiers »). Il est donc possible que l’ail ait été introduit à cette époque.
À l'issue de la guerre de Sept Ans, la maison est louée à des Britanniques pendant l’été. Une écrivaine anglaise, France Brooke, quitte son pays natal en 1763 pour rejoindre son mari au Québec. Elle séjournera à la maison Sillery pendant 4 ans, où elle en profitera pour écrire un roman qui puisera ses plus belles scènes dans son environnement immédiat.
À partir du 19e siècle, la demeure est habitée par monsieur Richard Dobell, marchand de bois prospère. On sait que des vignes y poussaient en grand nombre, et donc peut-être que l’ail des vignes y a été intégrée à la même époque.
Puis comme une fatalité, avec le temps, les traces des Jésuites et des habitants des lieux disparaissent. Seule la maison témoigne de leur passage.
En 1929, la Commission des monuments historiques transforme la maison en musée. En dépit de son classement et de sa nouvelle fonction, le bâtiment, tantôt menacé de démolition, tantôt négligé faute de moyens suffisants, a un avenir incertain. Devenue propriété de la Ville de Sillery en 1986, la maison est finalement restaurée pour faire place à un centre d’interprétation et d’exposition. Le jardin est pratiquement disparu aujourd’hui, et seul subsiste, sous un vieux pommier, une touffe d’ail mystérieux.
Pour en connaître d'avantage
Maison des Jésuites de Sillery
Les Jésuites au Canada anglais